Les difficultés d’approvisionnement en masques au début de la crise sanitaire, ou encore les pénuries de semi-conducteurs qui durent depuis des mois, ont replacé la question de la dépendance extérieure de l’économie française dans le débat. Cependant, tous les secteurs de l’industrie ne sont pas impactés de la même manière. Tour d’horizon avec Ariell Reshef et Gianluca Santoni, économistes au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), qui répondent aux questions d’Isabelle Bensidoun, adjointe au directeur.
La crise sanitaire a fait réaliser que la production mondiale était, pour certains produits, géographiquement concentrée. Quelles en sont les raisons et les limites ?
La crise sanitaire a braqué les projecteurs sur les risques que les interdépendances font courir : début 2020, lorsque des produits essentiels comme les masques et autres équipements de protection individuelle sont venus à manquer ; depuis l’été 2021, avec la pénurie mondiale de semi-conducteurs qui a mis à mal les constructeurs automobiles et les producteurs d’équipements électroniques du monde entier. Dans les deux cas, la production mondiale est effectivement concentrée en Asie de l’Est, principalement en Chine pour les équipements de protection individuelle, en Corée et à Taïwan pour les semi-conducteurs.
Mais ces deux exemples ne sont pas de même nature. Dans le premier cas, les masques et autres équipements de protection individuelle, il s’agit d’importations de produits finis qui viennent satisfaire la consommation française, mais qui n’entrent pas dans le processus de production français. En revanche, la dépendance aux semi-conducteurs, lorsque ces derniers viennent à manquer, va bien affecter la capacité de produire en France.
Cette configuration éclatée de la production mondiale résulte de la recherche d’une production à moindre coût que l’exploitation des avantages comparatifs permet d’obtenir et qui constitue le principal moteur des gains procurés par le commerce.
Toutefois, la spécialisation géographique peut également entraîner des goulets d’étranglement dans les chaînes de production, si la production est interrompue à un endroit. Cela n’est pas nouveau : en 2011, le tremblement de terre au Japon avait gravement perturbé les chaînes de valeur et mis en difficulté les secteurs informatique, électronique et automobile de tous les pays qui dépendaient des pièces produites au Japon. Cela n’est pas rare non plus : les experts de quatre secteurs (automobile, pharmaceutique, aérospatial et électronique), interrogés par le McKinsey Global Institute, estiment que des ruptures d’approvisionnement de plus d’un mois se produisent en moyenne tous les 3,7 ans.
Mais à quel point la production française est-elle tributaire de l’étranger ?
Tout d’abord, la France est avant tout une économie de services : 85,6 % du PIB, contre 12,5 % pour l’industrie et moins de 2 % pour l’agriculture en 2015, année la plus récente pour laquelle il est possible de mesurer la dépendance de la production. Et les services, tout comme l’agriculture, sont peu tributaires de l’étranger : plus de 80 % de la valeur ajoutée de ces secteurs est le fait de fournisseurs nationaux (voir tableau ci-dessous).
En revanche, la dépendance est plus forte pour l’industrie manufacturière : pour 100 euros de valeur ajoutée produite en France, seuls 69 euros sont le fait de fournisseurs nationaux. Près d’un tiers de la valeur ajoutée manufacturière française est ainsi dépendante de l’étranger, essentiellement de fournisseurs européens (pour 56 %), les Américains et les Chinois fournissant chacun moins de 10 % (précisément 8 % et 6,7 %, respectivement).
La montée en puissance de la Chine dans le commerce international et les dépendances essentiellement à l’égard de l’Asie de l’Est que la crise sanitaire a révélées peuvent laisser croire que la dépendance de notre production à l’égard du continent asiatique est grande. Mais en réalité, il n’est pas étonnant que les fournisseurs éloignés soient globalement moins importants que les fournisseurs nationaux ou proches, en particulier lorsque ces derniers sont intégrés dans un marché unique et qu’ils partagent des fondements institutionnels similaires.
La Chine est donc, en moyenne, un fournisseur marginal pour les entreprises françaises, alors que les liens de production au sein de l’Union européenne sont particulièrement intenses. Bien entendu, il existe une hétérogénéité forte entre les industries, et pour certains secteurs la Chine occupe une place importante parmi les fournisseurs étrangers. Il en est ainsi des appareils électroniques (où 25 % de la valeur ajoutée fournie par l’étranger provient de Chine), du secteur textile (22 %), des équipements électriques (14,1 %) et des équipements de transport (7,2 %).
Quelles politiques ces dépendances appellent-elles ?
Lorsqu’il s’agit de dépendances à l’égard de nos partenaires européens, la réponse politique doit s’appuyer sur la plate-forme commune des institutions de l’UE, sans compromettre, et idéalement en renforçant, la coopération au sein des pays membres, comme l’illustre la récente collaboration annoncée par Sanofi et BioNTech pour la production de vaccins destinés au marché européen.
En revanche, la recherche d’une indépendance stratégique à l’égard de partenaires plus éloignés, comme la Chine, réclame des interventions et des financements publics pour réagir aux écarts de prix relatifs (parfois liés à des pratiques déloyales) et éventuellement de relocaliser la production de composants critiques sur le territoire national ou européen.
La récente ouverture d’une usine de fabrication de puces à Dresde et les investissements en Allemagne de l’Est visant à réduire la dépendance à l’égard des fournisseurs de batteries d’Asie de l’Est (également connue sous le nom de « Silicon Saxony ») sont des exemples de réponses politiques à cet égard.
Il convient également de noter que les chocs subis par les chaînes d’approvisionnement peuvent être entièrement nationaux. Cependant, ils ne semblent pas autant préoccuper les décideurs politiques que les chocs internationaux. De quoi rappeler que la diversification des fournisseurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux, constitue une option à ne pas négliger pour limiter le risque de rupture des chaînes d’approvisionnement.
Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne » un partenariat CEPII – The Conversation.
Ariell Reshef, Économiste, Directeur de recherche CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Membre associé, Paris School of Economics – École d’économie de Paris; Gianluca Santoni, Économiste, CEPII et Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPII
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.